La politique en Corée du Sud, c'est mieux qu'un épisode de Dallas
La Corée du Sud vient de destituer son président. C'est l’occasion parfaite pour retracer l’histoire politique d’un pays où la démocratie a toujours été une affaire de lutte (et parfois de voyance).
Alors que le président de la Corée du Sud Yoon Suk-yeol vient juste d’être destitué, le moment est idéal pour parler de la politique au pays du matin calme. Si vous avez l’impression que c’est le bordel chez nous, rassurez-vous, c’est pire ailleurs. Ironiquement, on dit souvent que c’est le PDG de Samsung qui dirige le pays – et dans le fond, c’est un poil vrai. Mais ce dont on n’a absolument pas conscience en Occident, c’est que les Coréens sont profondément attachés à la démocratie et ça, c’est lié à l’histoire tumultueuse de la politique du pays. Entre les tentatives de coup d’État militaire, la dictature, la présidente manipulée par une voyante, destitutions en pagaille… Il y a largement de quoi faire.
Je vous raconte ?
Qu’est-ce qui s’est passé depuis la fin de la guerre de Corée ?
Vu que le format newsletter n’est pas extensible (et que vous n’en avez sûrement rien à faire de la liste des empereurs coréens de la période Joseon), on va commencer notre analyse à la fin de la guerre des deux Corées. Pour le contexte, en 1953, une armistice est signée entre les deux territoires coréens, mais la guerre n’est pas terminée (et elle ne l’est toujours pas en 2025). Suite à la création des deux États, Kim Il-sung (le grand-père que Kim Jong-un) assoie sa dictature au Nord et Syngman Rhee devient le premier président de la Corée du Sud. Il est autoritaire, et évidemment anti-communiste (donc anti-Corée du Nord). Il va d’ailleurs orchestrer sa propre chasse aux sorcières sur le territoire (USA like), avant d’être accusé de corruption en 1960. Il démissionne suite aux manifestations massives dans le pays et laisse le pouvoir vacant. Le gouvernement est récupéré par Yun Po-sun, qui instaure un régime plus démocratique et proclame la Seconde République. Mais le calme de la démocratie ne dure qu’un petit temps. Tout son travail sera bafouée en 1961 par Park Chung-hee qui, suite à un coup d’État militaire, instaure un régime quasi-dictatorial et ça va durer jusqu’à son assassinat en 1979. Cette période, malgré la violence, est assez décisive pour le pays. C’est sous le règne de Park Chung-hee que la Corée va prendre un essor économique et si le pays fait aujourd’hui partie du top 10 de l’OCDE, c’est un peu grâce à ce président qui a fait le choix de sacrifier une génération de Coréens. Les clichés que l’on a sur le pays (genre, ils travaillent 70 heures par semaine), viennent essentiellement de cette période, dont les Coréens gardent un souvenir plutôt amer (et on les comprend).
Juste après la mort du président, il va de nouveau y avoir une brève période de démocratie (quelques mois) avant qu’un nouveau général, Chun Doo-hwan, ne fasse un coup d’État (oui, encore un) pour prendre le pouvoir. Sans surprise, il instaure un régime ultra-rigoriste. Répression, massacres (dont ceux de Gwandju en 1980), camps de rééducation… Les années Chun Doo-hwan vont laisser une fracture profonde dans l’esprit des Coréens, mais vont surtout nourrir une envie profonde de démocratie (et accessoirement de liberté). Ce sont les étudiants qui vont changer la donne et amorcer une grande vague de manifestations. Le peuple veut voter et avoir un impact sur le gouvernement du pays. Suite aux violentes protestation, le pouvoir en place organise la première élection au suffrage universel. Résultat : Chun est battu et la Corée du sud entre dans une nouvelle ère.
On note donc deux choses : il y a eu beaucoup de coups d’États en Corée et les Coréens ne sont pas fâchés avec les manifestations. Comme nous, ils ne sont pas du genre à attendre passivement que les choses se passent et c’est une réalité plutôt éloignée de l’image que l’on se fait généralement du pays du matin calme (lol).
À partir des années 90, tout va mieux (ou presque)
Après des débuts tumultueux, les années 90-2000 vont être marquées par un certain apaisement du pays. Certes, il y a eu des scandales de corruption, mais dans les faits, il n’est plus question de massacrer des manifestants en envoyant l’armée. De cette période, on retient surtout Kim Dae-jung, président de 1998 à 2003. Fervent défenseur de la démocratie, il obtient le Prix Nobel de la Paix en 2000 pour sa “politique du rayon de soleil”, surtout liée à son travail de diplomatie avec le territoire du Nord. C’est la période faste de la Corée : économiquement, les nouvelles réformes sont bénéfiques au pays, le soft power commence son expansion… Kim Dae-jung, c’est le grand-père de la démocratie sud-coréenne — et un peu celui de la K-pop aussi.
Avec l’arrivée des années 2000, le pays entre donc dans une stabilité. Côté bord politique, on voit s’installer successivement des gouvernements de droite et de centre gauche, sans trop de dégâts.
La saga Park Geun-hye, ou la présidente qui était manipulée par une voyante
Dans la grande histoire de la politique coréenne, il y a un arc particulièrement délectable et c’est celui de la présidente Park Geun-hye, fille de Park Chung-hee (le dictateur de 61). Si l’on peut féliciter le pays d’avoir élu une femme en 2012, elle ne laissera malheureusement pas un super souvenir au peuple. En 2016, on découvre que la présidente est très souvent conseillée par une vieille amie Choi Soon-sil. C’est la (rara)Rasputine du gouvernement coréen. Mi-voyante, mi-gouru, elle a en réalité manipulé la présidente à des fins personnelles. Son emprise était telle que d’une certaine façon, c’était elle la présidente non officielle du pays.
Suite à la divulgation de cette affaire dans la presse, des millions de sud-coréens vont descendre dans les rues pour manifester pacifiquement à la bougie (comme quoi, c’est possible), afin de demander la destitution de la présidente. En décembre 2016, le peuple obtient gain de cause, Park Geun-hye est destituée et condamnée à 25 ans de prison pour corruption et abus de pouvoir. Elle est cependant graciée en 2021 par le président Moon “pour raisons de santé et pour apaiser les divisions nationales”. Elle est aujourd’hui retirée de la vie politique. La voyante elle, est toujours en prison.
Si l’histoire est risible, elle prouve cependant une chose : les Coréens n’ont jamais hésité à appeler à la destitution d’un président si celui-ci n’était plus à la hauteur. On a beau se gosser en occident en affirmant que c’est nous qui avons inventé la démocratie, mais il y a des pays loins de nos modèles qui ont aussi su trouver une dynamique certes parfois imparfaite, mais tout aussi fonctionnelle.
Moon vs Yoon, le combat du bien contre celui du mal ?
Le dernier grand arc (à date) de la politique coréenne, c’est sûrement l’opposition entre le président Moon Jae-in et Yoon Suk-yeol. Le premier est un humaniste attaché à la démocratie, le second un président traditionaliste, ouvertement misogyne, homophone et xénophobe (et je vous laisse deviner lequel des deux je préfère).
Moon Jae-in était au pouvoir de 2017 à 2022 et pendant son mandat, il a essayé d’instaurer des évolutions majeures dans son pays : il renoue avec le dictateur du Nord, fait de l’égalité femmes-hommes une des priorités du gouvernement, essaye de mettre fin à la crise du logement, augmente le salaire minimum… Des promesses pleines d’avenir, malheureusement entachées par la montée des mouvement antiféministe, par des accusations de corruption et par une crise du logement qui ne s’apaise pas.
C’est à cause de ce bilan en demi teinte que Yoon Suk-yeol va accéder au pouvoir en 2022. Son électorat est majoritairement masculin, conservateur, opposé à toute régulation et pro-business (tiens tiens, ça nous rappelle l’électora de Trump). Tout au long de son mandat, il va accumuler les sorties de route : en essayant de museler la presse, en instaurant un gouvernement plus autoritaire que jamais depuis le début des années 2000, il va annuler certaines réformes progressistes de son prédécesseur… Mais, comme souvent chez les hommes de plus de 60 ans plein d’ego, il va avoir les yeux plus gros que le ventre. En décembre 2024, suite au refus de son budget annuel par l’opposition, il va déclarer la loi martiale et essayer de faire un coup d’État pour obtenir les pleins pouvoirs. Sauf que ça ne va pas marcher, la tentative va être avortée et le 4 avril 2025, il est officiellement destitué de ses fonctions.
Il devient donc le second président en moins de 10 ans à être destitué et, hasard de dingue, ils appartiennent tous les deux au parti traditionaliste.
À quoi il faut s’attendre maintenant ?
Si la destitution du président est évidemment une bonne chose pour une majorité de coréens, tout ne va pas pour autant s’arranger du jour au lendemain. Le mandat de Yoon a laissé le pays dans une situation plus polarisée que jamais, ambiance guerre culturelle et sociale. Sa politique a rendu l’obtention des visas plus compliquée pour les étrangers, si bien qu’il est aujourd’hui quasiment impossible d’aller s’installer en Corée du Sud (sauf études ou PVT). De nouvelles élections devraient avoir lieu dans 60 jours pour composer un nouveau gouvernement. Il faut maintenant espérer que les tensions entre les pro et les anti Yoon vont s’apaiser et que le pays va retrouver une situation plus calme et plus stable. Même si les sagas politiques sont géniales pour la presse (ça fait vendre du papier) ça l’est beaucoup moins pour le peuple et le tourisme.
Rendez-vous au mois de juin pour les updates.
Si vous souhaitez avoir une vision un peu plus “pop culture” des différentes périodes d’instabilité politique, vous pouvez regarder ces 2 dramas : Pachinko (sur Apple TV), pour vous faire une idée de la colonisation japonaise de la Corée du sud et When Life Gives You Tangerine (sur Netflix) , qui retrace la vie d’une femme coréenne des années 50 à sa mort.
Le "(rara)rasputin" m'a flinguée de rire mais super papier très instructif 🤓.