En Corée du Sud, être belle n’est pas une option
Vous pensez que le beauty privilège est extrême en Occident ? Vous n’avez encore rien vu.
La première fois que je suis allée à Séoul, j’ai rapidement remarqué que les gens étaient beaux. Pas forcément au sens universel du terme – tout le monde ne ressemble pas à Kim Taeyung1 – mais une évidence s’impose : ici, prendre soin de soi est une règle tacite. Tenues impeccables, coiffures soignées, parfums délicats, maquillage millimétré… En Corée du Sud, l’apparence n’est pas un détail, c’est une norme.
Mais sous ce joli vernis se cache des tonnes d’injonctions, pour les femmes ET les hommes. Plus qu’une coquetterie, il est presque essentiel d’être beau au pays du matin calme pour exister aux yeux de la société. Vous pensez que le beauty privilège2 est extrême en Occident ? Vous n’avez encore rien vu. Grossophobie, médecine esthétique, maquillage à outrance… Tout est bon pour rentrer dans les cases en Corée du Sud. Ce n’est pas qu’une question de norme esthétique, c’est aussi un héritage culturel qui met en lien physique et respect.
Être beau pour respecter l’autre (et espérer trouver du travail)
On en avait déjà parlé dans la newsletter sur la K-Beauty, mais la culture confucianiste a eu un grand impact sur la société coréenne. Encore aujourd’hui, être beau est un marqueur d’harmonie sociale. In fine, on prend surtout soin de soi pour le regard des autres, parce qu’être esthétiquement appréciable en communauté est une forme de respect. À l’inverse, les personnes qui ne le font pas sont perçues comme paresseuses, désordonnées ou irrespectueuses envers le groupe social.
Plus globalement, avoir une peau impeccable et de beaux habits est un marqueur de réussite. Ça souligne le fait qu’on a un travail ou une situation. Le système est tellement tourné autour de l’esthétique, qu’un physique négligé peut avoir un impact sur la vie professionnelle : à CV égal, les recruteurs préfèreront généralement le physique le plus attrayant.
Au-delà même d’une norme esthétique, la beauté est donc une forme de capital en Corée du Sud et c’est pour cette raison qu’elle reste aussi centrale dans la société. Normal donc que certains parents offrent des opérations de chirurgie esthétique à leurs enfants après le bac et qu’un tiers des Coréennes entre 19 et 29 ans soient déjà passées sur le billard : parce qu’il est essentiel d’être beau/belle pour exister au pays du matin calme.
Ça veut dire quoi “être beau” en Corée du Sud ?
Non content d’avoir érigé la beauté au niveau d’une nécessité, les beauty standards en Corée du Sud sont TRÈS spécifiques.
Pour les femmes, il faut idéalement un visage en V (une mâchoire fine et en menton pointu), une peau claire et sans défauts, de grands yeux ronds, un nez fin et droit, des joues rebondies, des lèvres rosées et pulpeuses, un sourcil droit et épais, une silhouette mince et élancée (avec des jambes longues, c’est encore mieux), des cheveux brillants et lisses, une démarche féminine.
Pour les hommes, l’idéal c’est d’avoir une petite tête avec un visage fin (exit les mâchoires carrées), un nez fin et droit, une peau sans défauts, de grands yeux expressifs, un corps élancé, fin mais avec de larges épaules, des cheveux mi-longs et un style vestimentaire élaboré.
Sans surprise, ces codes esthétiques sont influencés par la K-Pop et son culte de la perfection. Pour la majorité de la population, ce sont des codes esthétiques très difficiles à atteindre, c’est pour cette raison que le marché de la beauté est si florissant. Maquillage et soins de peau rythment le quotidien des Coréens (hommes et femmes confondus). Si ces normes ont au moins le bénéfice de faire la promotion d’une autre forme de masculinité (plus sensible, avec des codes différents de virilité), pour les femmes, c’est l’expression d’une société ultra-patriarcale, qui met du temps à se détacher de ses anciens dogmes.
Le pays où votre patron peut vous demander de faire un régime
Ce serait impensable en France, pourtant en Corée, c’est presque banal d’entendre un patron dire à son employée qu’elle a grossi ou qu’elle se néglige. Une fois n’est pas coutume, les femmes sont les premières victimes de cette société tournée vers le physique. Elles doivent être minces et belles si elles souhaitent faire un bon “bon mariage” ou trouver un bon travail. Être belle, c’est à la fois être désirable pour les hommes, mais aussi pour les employeurs (80% des recruteurs estiment que l’apparence physique joue un rôle dans le recrutement d’une personne).
Il n’est donc pas rare de voir des femmes se rendre malades pour coller à ces standards de beauté : elles sont prêtes à tout, même à s’inscrire à des TV réalités qui leur permettront de “devenir belles”. Entre 2011 et 2015, l’émission Let Me In (렛미인) a “transformé” des dizaines de femmes pour les rendre “socialement acceptables”. Sans surprise, plus la candidate était désespérée, plus elle avait de chance d’être sélectionnée. Des millions de téléspectateurs ont suivi ces transformations extrêmes. Mais ce qui choquait le plus dans cette émission, ce n’était pas tant les transformations (quoique) mais le soulagement sincère des parents après que leur fille ait été transformée. Nouveau look, nouveau visage, nouveau poids… Tout était mis en œuvre pour que les candidates soient en mesure de correspondre aux normes coréennes.
L’émission a certes été arrêtée suite à de nombreuses controverses, mais elle a grandement joué dans la popularisation de la chirurgie en Corée, gommant petit à petit les spécificités esthétiques, pour imposer une norme très chartée, qui rythme le quotidien des jeunes filles.
Le monde entier a un rapport compliqué aux normes de beauté
Il en va sans dire, cette nécessité à être belle découle directement d’un héritage patriarcal encore très présent en Corée du Sud. En 2018, Diane Jean analysait cet héritage pour les Inrocks et 7 ans après, c’est toujours la même dynamique aux pays du matin calme. Selon Genre, mondialisation et la chirurgie esthétique en Corée du Sud (2012), une étude menée par Ruth Holliday et Joanna Elfving-Hwang, la question de l’esthétique influence de nombreux débats dans les communautés féministes coréennes. Pour beaucoup, cette beauté normative est l’expression même du patriarcat (car les femmes ne sont pas libres de faire le choix de leur apparence), alors que pour d’autres, avoir la possibilité de modifier son corps comme bon leur semble est une forme d’empowerment. Une fois n’est pas coutume, rien n’est manichéen dans la vie mais si des jeunes filles ont, en 2018, lancé un mouvement contestataire basé sur la destruction de palettes de maquillage, c’est que ces normes sociales constituent une entrave pour certaines.
Le problème, c’est que cette esthétique est en train de se diffuser dans le monde entier, la faute au soft power. Il n’y a qu’à voir sur Instagram, tout le monde rêve d’avoir une glass skin3 et les tutoriels pour se “maquiller comme une coréenne” ne manquent pas. Pour certaines, le retour du culte de la maigreur dans nos sociétés serait même lié à cette popularisation des beautés asiatiques. S’il n’y a évidemment rien qui prouve que notre volonté à rentrer dans du 34 est motivée par les K-Pop Idols (le patriarcat existe aussi en Occident), il y a en revanche un réel mouvement de lissage esthétique partout dans le monde, assez comparable à ce qui se passe en Corée du Sud. Si au pays du matin calme, elles doivent toutes ressembler à Jisoo des Blackpink, chez nous, la femme idéal d’Instagram est blonde, blanche, avec un visage fin, des lèvres pulpeuses et un petit cul rebondi.
Si la Corée du Sud a de l’avance en matière de normes de beautés toxiques, nous ne sommes pas en reste. La seule différence, c’est que là-bas, il n’est pas tabou de dire que fait tout pour être belle et qu’on n’est pas fâché avec les injections. On peut évidemment pointer du doigt cette société basée sur le paraître, mais ce n’est pas mieux chez nous, d’autant que les mouvements conservateurs (de plus en plus présents) sont du genre à surfer sur un idéal féminin bien spécifique (et si en plus elle fait des enfants, c’est encore mieux). Il est tout aussi compliqué d’être considéré comme beau/belle dans la société coréenne que ça ne l’est chez nous. La question n’est donc pas de critiquer les coréens, mais de se demander pourquoi la beauté est une construction sociale aussi centrale aujourd’hui.
Cette obsession pour la beauté n’est évidemment pas propre à la Corée du Sud. Elle s’inscrit dans un phénomène global où les normes esthétiques se renforcent et s’homogénéisent, notamment sous l’influence des réseaux sociaux et du soft power. De nombreux créateurs de contenu, journalistes et chercheurs s’interrogent aujourd’hui sur cette injonction mondiale à la perfection physique. La youtubeuse et vulgarisatrice Charlie Danger a fait une vaste vidéo sur le sujet et la conclusion est que, quel que soit l’endroit, on ne se trouve jamais assez jolie.
S’il y a autant d’injonction à la beauté, c’est surtout le témoignage de l’appartenance à une société et/ou à une époque. C’est pour cette raison que l’on veut toujours coller aux normes de beauté, pour appartenir au groupe. Et si c’est valable dans des sociétés individualistes, ça l’est encore plus dans des sociétés où le groupe prévaut sur tout le reste (comme ça l’est en Corée du Sud).
Vers plus de diversité ?
Heureusement, les choses changent en Corée : certaines idols ont décidé de ne plus rentrer dans le moule et mettent en lumière d’autres formes de beauté. Hwasa par exemple, du groupe Mamamoo, a fait une chanson intitulée “I love ma body”, un titre bien ironique, quand on sait qu’elle a été critiquée pour son poids.
Idem pour Jessi, rappeuse grande gueule, qui a décidé d’assumer son “physique plastique” loin des idéaux naturels coréens. Petit à petit, on s’autorise à plus d’individualité, mais ce sont des choses qui prennent du temps à se mettre en place, même au pays du matin calme où tout va très vite.
Il ne faut pas rêver, les standards de beauté ne vont pas disparaître du jour au lendemain, en Corée comme chez nous – ils font partie de nos sociétés. Mais on peut espérer que les Coréens auront le choix de s’y conformer ou non, sans impact majeur sur leur carrière ou leur vie sociale.
Si l’Occident a réussi à devenir plus inclusive, rien n’empêche les sociétés asiatiques de le faire aussi non ? C’est du donnant-donnant : on leur pique leurs produits de beauté et eux nous piquent l’acceptation de la diversité.
Aka V, un des membres de BTS, particulièrement beau
Le beauty privilège désigne l’avantage social et professionnel dont bénéficient les personnes considérées comme physiquement attirantes, car la beauté est perçue comme un gage de succès, de compétence ou de valeur.
La glass skin est un idéal de peau en K-Beauty qui se caractérise par un teint ultra-lisse, éclatant, hydraté et translucide, donnant l’illusion d’une peau aussi lumineuse et réfléchissante que du verre.
Comme il y a certainement un nombre important de filles moyennes ou moches, ça doit être l'enfer pour elles.
Que pensent les Coréens du physique des Européens ?
Tu attires les Coréens lorsque tu es dans leur pays ?
J’avoue que c’est un principe qui me refroidit
On en parle beaucoup avec ma fille , constamment immergée dans le Kworld .
Merci d’en parler avec autant d’ouverture !